Le Chef

Le Chef

Christophe Ledru

« La vie c’est comme une boîte de chocolat... »

« La vie c’est comme une boîte de chocolat »

Fidèle aux valeurs qui lui ont été inculquées, Christophe Ledru applique consciencieusement les conseils du clan familial. « Maman disait toujours, travailles et tu verras un jour le fruit de ton investissement », nous confie-t-il. C’est donc déterminé que ce Forrest Gump des fourneaux compte bien courir plus vite que son ombre pour ne pas laisser filer l’étoile.

Si l’on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve, on sait en revanche que les souvenirs d’enfance sont parfois capables de déclencher une vocation. Pas vraiment copain avec le tableau noir, le jeune garçon du nord attend l’arrivée des vacances d’été aussi impatiemment que la cour de récré. D’origine bretonne, il profite des contours sauvages de la mer d’Iroise, le long de la presqu’île de Crozon. En comptant les cousins, ce ne sont pas moins de vingt personnes qui se retrouvent attablées dans la salle à manger de la grand-mère. De cette époque, Christophe Ledru garde en mémoire les bons gueuletons préparés avec amour de cette mamie gâteau, « elle nous cuisinait des encornets farcis à l’armoricaine comme personne. Même avec la recette, le résultat n’est pas le même. Il manque juste ce plaisir de savoir qui l’a fait. » Cette cuisine de l’instinct, le cuisinier l’a toujours gardé en tête. « Je dis souvent à mon équipe, goûtez, et demandez-vous si vous serviriez chaque plat à votre maman. »

 

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« …on ne sait jamais sur quoi on va tomber. »

Propulsé derrière les fourneaux plus vite que prévu, il quitte rapidement la sécurité du nid familial pour rouler sa bosse. Issu d’une famille ouvrière, d’un père soudeur et d’une mère travailleuse sociale, grimper le long de l’échelle pour prendre du galon ne lui fait pas peur. « J’ai toujours vu mes parents se lever tôt pour aller travailler. » à quatorze ans et demi, il prend le chemin du CFA Gouvieux, en apprentissage. Ses premiers pas se font dans le bon restaurant du coin, le Vert Pommier dans l’Oise. Par chance, le restaurant n’est pas en manque de personnel ce qui lui permet une immersion dans des conditions optimales. « Avec le recul, je dis toujours qu’ils m’ont appris à aimer mon métier avant de me taper sur les doigts. » Malgré ça, le rythme est soutenu, « Après quatre-vingts heures par semaine, j’avais envie de prendre quelques vacances. » Sorti premier du centre de formation, ses résultats lui ouvrent les portes du concours l’Un des Meilleurs Apprentis de France et lui permettent alors de passer son bac professionnel. L’ambiance est bon enfant. Diplôme en poche, il débarque à la Mutualité à Paris pour trouver du boulot. Un seul rendez-vous suffira pour repartir avec une adresse, celle du 228 rue de Rivoli. Après deux années de travaux de grande ampleur, le mythique hôtel Meurice ré-ouvre ses portes. Sous la houlette du chef Marc Marchand, il découvre la guerre des palaces. Derrière les vitrines à paillette, pas de quartier : pour évoluer, il faut avoir les crocs. Les amis deviennent des ennemis. « Si tu veux le poste de la personne à côté de toi, tu devras la pousser. Seuls les meilleurs s’en sortiront. » Devant l’enjeu, le jeune commis ne se ménage pas.
« Le chef m’appelait son petit chien fou car je voulais trop bien faire. Il n’avait pas fini sa phrase que je courrais déjà jusqu’à la cham

« Cours Forrest, cours ! »

« Cours Forrest, cours ! »

Après Paris, cap au nord, au Relais Champagne à Reims pour rejoindre la brigade de Philippe Augé qui occupe son premier poste de chef. Rapidement, l’esprit des grandes brigades lui manque et il ne tarde pas à rebrousser chemin, direction l’avenue Montaigne cette fois-ci, au Plaza Athénée. Alors que Jean-François Piège fait ses adieux, c’est un jeune inconnu – du nom de Christophe Moret, dégoté par Alain Ducasse – qui accepte de faire tourner cette grosse machine. Charismatique, il sait se faire respecter. Proche de son équipe, il rassemble et fédère. Dès le premier coup d’œil, l’analyse est juste : « pour moi comme pour toi, seul le travail paiera », confie-t-il au Picard. Dans le cadre de l’évènement Fou de France organisé par Alain Ducasse, Christophe Ledru fait la connaissance d’Olivier Bellin (L’auberge des Glazicks, Finistère), un chef ambitieux qui compte bien ajouter une seconde étoile à son tableau de chasse. Entre les deux hommes le courant passe et les railleries fusent. Il quitte alors l’ivresse de la vie parisienne pour retrouver un semblant de calme avant la tempête. « En cuisine, on est cinq. La seconde étoile tombe deux ans après mon arrivée. Le contrat est rempli.» Pas tout à fait pour Olivier Bellin qui en demande toujours plus. La conquête de la troisième étoile, ce sera sans Christophe.
« Après six années passées à ses côtés, j‘enlève mon tablier et je pars pour le Royaume-Uni. » Nouveaux pays, nouveau départ. Le globe-trotter veut apprendre l’anglais. Direction l’Ecosse pendant quelques mois, puis départ pour Londres. Sur place, il fait fonctionner son carnet d’adresses parisien et intègre la brigade de son ancien équipier, Jocelyn Herland au Dorchester. « La cuisine est mi française-mi italienne, j’apprends l’anglais avec des italiens. » Voisin de l’établissement légendaire d’Hyde Park, il passe du coq à l’âne en rejoignant le chef islandais Agnar Sverrisson (Texture* Restaurant), auteur d’une cuisine aux notes scandinaves. Très vite, Christophe Ledru tourne comme un lion en cage. Prêt à franchir un nouveau cap, il efface l’ardoise et remet les compteurs à zéro.

« N’est stupide que la stupidité »

Le 17 février 2015, il signe pour un nouveau pied à terre dans une nouvelle région. Bienvenue au Clos du Cèdre, en Bourgogne. Premier poste de chef à la clé, il relève les manches et met sa brigade au diapason, « il a fallu quelques temps pour que l’équipe comprenne mon fonctionnement. Chaque préparation doit être goûtée pour être sûr du résultat car ici, c’est le bon sens cuisinier qui nous guide. »
Service après service, le chef sculpte sa signature. Sûr de lui, il sait ce qu’il veut mais aussi ce qu’il ne veut pas. « J’en ai marre de manger la même chose partout quel que soit l’endroit. Je ne veux pas cuisiner trois petits pois avec une sauce aux petits pois et un homard infusé à la verveine pour faire plus cool, ça n’a pas de sens ». Conscient qu’il ne peut pas changer les mœurs d’un coup de cuillère à pot, le jeune chef conjugue recettes traditionnelles et accords imprévus. « Sur les classiques, ce sont les textures et les cuissons qui se démarquent plus que les accords. » Ainsi, aux côtés de la sempiternelle salade de homard bleu, fine gelée et légumes croquants ou de la barbue rôtie sur l’os, asperge blanche et petits pois mentholés, Christophe Ledru ose présenter un bœuf charolais en trois façons : en consommé froid avec quelques dés de cèpes et brins d’orties à boire comme un bouillon. Son originalité ? Sa petit note pétillante et rafraîchissante en fin de bouche ;
tranché puis mariné, le carpaccio fait un tabac. Moelleux comme du beurre, il fond sans le moindre effort ; snacké sur le vif, il est aussi tendre qu’un poisson cru. Disposé sur un lit de cèpes et d’orties, il a de quoi titiller nos sens. Côté sucré, la glace et le sabayon olive noire, fraises fraîches, chips de fraises, blanc en neige, gelée et brunoise de pommes Granny Smith éveille notre curiosité. Sans chichi, la présentation est simple et juste. Plus qu’un équilibre parfait, je me retrouve, l’espace d’une bouchée, propulsée quinze ans en arrière, à la table de ma propre mère-grand. La boucle est bouclée, mission réussie pour Christophe Ledru.

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